Pourquoi avoir mis en place un parcours spécifique de la personne âgée fragile au sein du service de gériatrie du Centre Hospitalier de Luxembourg (CHL) ? Qu’entend-on par concept de fragilité de la personne âgée ? À quoi sert l’évaluation gériatrique standardisée (EGS) ? Toutes ces questions (et bien d’autres) ont été abordées lors d’un webinaire intitulé « Parcours de la personne âgée fragile au CHL » et organisé le 30 septembre 2021 par le service de gériatrie aiguë du CHL à l’occasion de la Journée Mondiale de la personne âgée (1er octobre).
Près de 40% des personnes âgées de plus de 65 ans présentent des signes de pré-fragilité et de fragilité. Or, on sait que la fragilité des personnes âgées est souvent associée à des difficultés et des risques, parmi lesquels : la perte d’autonomie, la dénutrition, les chutes, l’épuisement de l’aidant, le stress des familles désemparées face aux propos incohérents ou à l’agitation de la personne malade. Le dépistage précoce et la prévention de la fragilité de la personne âgée sont donc essentiels car ils permettent de maintenir l’autonomie de la personne âgée et de limiter les conséquences de la fragilité. Frédéric Mennel, soignant directeur du pôle de Médecine interne, maladies systémiques au CHL, revient sur le concept de la fragilité chez la personne âgée : « nous savons que le vieillissement entre les individus est très hétérogène. Pour la majorité des personnes âgées, le vieillissement physiologique aura peu de répercussions dans leur vie quotidienne vu que les capacités fonctionnelles de leurs organes en seront légèrement limitées. Pour les autres, la survenue d’une maladie aiguë va accélérer le processus de vieillissement et augmenter le risque qu’ils évoluent rapidement vers une forme de fragilité. Ce deuxième profil de patient correspond typiquement à la cible de notre filière gériatrique. L’une des grandes difficultés est de pouvoir repérer ces patients âgés car leur état de fragilité n’est pas toujours facilement détectable à l’examen clinique. C’est pourquoi, nous utilisons des échelles d’évaluation qui nous permettent de repérer la fragilité de la personne âgée lorsqu’elle vient aux urgences ou lorsqu’elle est hospitalisée dans une unité de soins. »
Au CHL, la détection de la fragilité chez la personne âgée se fait dans un premier temps :
- Aux urgences, en utilisant le questionnaire PRISMA-7. Frédéric Mennel : « Ce questionnaire nous permet de repérer les personnes âgées provenant du domicile et qui sont en perte d’autonomie modérée à grave. En cas de résultat positif (score PRISMA-7 supérieur ou égal à 3), nous proposons au patient une évaluation plus poussée de sa fragilité. »
- En unité de soins, en utilisant l’échelle SEGA (volet A sur 26 points). Frédéric Mennel : « Cette échelle nous permet de faire une évaluation rapide et complète du profil de fragilité du patient (âge, provenance, médicaments, perception de la santé et de l’humeur, degré d’autonomie dans les activités de la vie quotidienne, nutrition, maladies associées, etc). Selon le score obtenu sur un total de 26 points, nous lançons directement une alerte auprès de certaines entités de notre filière gériatrique. »
« Dans un second temps, une fois la fragilité dépistée, la réalisation d’une évaluation gériatrique standardisée permet d’obtenir un bilan plus approfondi de la fragilité une fois que celle-ci est repérée aux urgences ou dans les unités de soins. », précise le Dr Karim Moulla, médecin chef de service de gériatrie aiguë à la Clinique d’Eich.
L’évaluation gériatrique standardisée (EGS)
L’évaluation gériatrique standardisée est un processus diagnostique multidimensionnel et interdisciplinaire du patient âgé fragile.
Cinq sphères sont systématiquement évaluées : les problèmes médicaux, les capacités fonctionnelles, l’état cognitif (mémoire et humeur) la situation sociale ainsi que l’état nutritionel. Ces évaluations sont faites en étroite collaboration avec le médecin traitant, dans le cadre du suivi du patient à long terme. L’objectif de l’évaluation gériatrique standardisée est de proposer un projet de traitement et de suivi à longue durée en tenant compte de la situation, des besoins et du souhait des patients.
- Bilan fonctionnel
Le bilan fonctionnel est réalisé par une ergothérapeute et un kinésithérapeute en partenariat avec l’équipe soignante. Il permet :
- d’évaluer l’autonomie du patient,
- de repérer un trouble de la marche et de l’équilibre,
- d’évaluer le risque de chute.
- Bilan cognitif
Le bilan cognitif est réalisé par une neuropsychologue en partenariat avec l’équipe soignante. Il permet de repérer des troubles cognitifs dès le stade débutant et d’évaluer leur impact sur la vie quotidienne des personnes.
- Bilan nutritionnel
À chaque hospitalisation, le patient bénéficie d’une évaluation complète du risque de dénutrition. Ce processus intègre un bilan de ses capacités à s’alimenter, la détection des troubles de la déglutition, la surveillance de la quantité des apports alimentaires et hydriques, le suivi de l’élimination ainsi qu’un monitoring du poids. Le bilan nutritionnel est complété par un dosage des protéines sériques, albumine et pré-albumine, vitamines (D, B9, B12), ainsi que du taux de fer dans le sang.
Dans le service de gériatrie aiguë du CHL, une diététicienne assure, en partenariat avec l’équipe soignante le suivi de la nutrition et adapte si besoin le régime alimentaire. Une orthophoniste est quant à elle en charge d’évaluer les troubles de la déglutition.
- Bilan social
Ce bilan est réalisé par une assistante sociale et l’équipe soignante et permet :
- d’évaluer le mode de vie du patient,
- de repérer ses besoins et ceux de l’entourage par rapport aux difficultés rencontrées,
- d’adapter les aides nécessaires : humaines, matérielles, juridiques,
- d’échanger avec les différents partenaires.
- Anamnèse approfondie et examen clinique complet
- Bilan du risque d’iatrogènie (rattaché à l’examen clinique)
Le bilan de la iatrogènie est réalisé par la pharmacienne clinique en étroite collaboration avec le médecin gériatre. Ce bilan permet d’étudier les traitements et leurs interactions médicamenteuses/leurs effets secondaires potentiels. De nombreux médicaments peuvent en effet interagir sur l’état de veille (et augmenter ainsi le risque de chute) ou avoir des effets directs sur la cognition (médicaments confusiogènes).
Dr Karim Moulla : « Ainsi, nous pouvons faire une véritable « cartographie » du patient, avec un repérage de la fragilité. Nous sommes parfaitement en mesure de poser le diagnostic d’une maladie aiguë, de proposer des solutions individualisées aux différents problèmes rencontrés (social, nutrition), d’organiser le suivi du patient (et, si besoin, de le réadapter) ou encore d’anticiper les besoins du patient ou certaines maladies chroniques pouvant devenir évolutives et nécessitant une réévaluation du mode de vie du patient. »
Composition de la filière gériatrique
La filière gériatrique au CHL se compose de plusieurs entités :
- Une unité stationnaire (CE3A) : cette unité dispose de 19 lits pour des séjours de courte durée et d’un plateau technique de rééducation/revalidation. L’équipe pluridisciplinaire est composée de 4 médecins-gériatres, d’infirmiers, d’aides-soignants, de kinésithérapeutes, d’ergothérapeutes, d’assistants sociaux, de diététiciens, de neuropsychologues, d’orthophonistes, d’une pédicure, d’un pharmacien clinicien ainsi que de bénévoles qui apportent leur soutien aux patients.
Frédéric Mennel : « Au sein de l’unité d’hospitalisation CE3A, nous avons développé un itinéraire clinique de prise en charge de la fragilité dans le but de prévenir et de limiter le déclin fonctionnel chez la personne âgée. Ce parcours clinique comprend plusieurs étapes, allant de la détection de la fragilité à l’organisation de la sortie du patient. »
- Une hospitalisation de jour : d’une capacité d’accueil de 5 patients par jour, 2 jours par semaine, l’hospitalisation de jour permet aux patients de recevoir un bilan de leur fragilité à la Clinique d’Eich et d’être pris en charge par une équipe pluridisciplinaire. Des examens complémentaires (ECG, Bladderscan, imagerie cérébrale) y sont réalisés.
- Des consultations médicales en ambulatoire : situées au deuxième étage du Centre Médical d’Eich, ces consultations médicales permettent de réaliser un bilan de première intention. Le médecin fait une première EGS et oriente ensuite le patient vers l’unité de la filière gériatrique (hospitalisation stationnaire, hospitalisation de jour) la plus appropriée.
- Une équipe mobile de gériatrie (UMG) : dans les services du CHL, l’équipe mobile (duo médecin-infirmier) se déplace au lit du patient dans les unités de soins et procède à des évaluations gériatriques standardisées.
- Le suivi du vieillissement chez les patients porteurs de la trisomie 21, en partenariat avec l’association Lëtzbuerg T21 Asbl. La capacité d’accueil est de 3 patients par jour.
- Des consultations fragilité : réalisées par l’infirmière de liaison, ces consultations fragilité servent à repérer les patients âgés fragiles consultant aux urgences. Sarah Galhardas Pina, Cadre soignante de l’Unité de Gériatrie souligne : « Les consultations fragilité au CHL sont intégrées dans le projet ICOPE de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) dont l’objectif est de promouvoir un vieillissement en bonne santé et de prévenir la dépendance. D’ici 2025, l’OMS souhaite diminuer de 15 millions le nombre de dépendants dans le monde. »
Découvrez le webinaire : « Parcours de la personne âgée fragile » ici.